LE SECRET DE MAÎTRE CORNILLE

dans "Les Lettres de mon Moulin"

Alphonse DAUDET

QUESTIONS DE LECTURE

 

Qui est Francet Mamaï ?

Que fait le vieux joueur de fifre de temps en temps ?

Autrefois que faisait-on dans ce village ?

Qui apportaient le grain à moudre ?

Qu’y avait-il de droite à gauche des collines ?

Qui formaient des ribambelles pour apporter les sacs de grain?

Que payait le meunier ?

Et les meunières? Comment étaient-elles?

Que faisaient  les ailes de ces moulins là ?

Malheureusement qu'est ce qui va venir  tout chambouler ?

Avec l’arrivée des moulins à vapeur que se passe t’il ?

Quelles habitudes prennent les paysans ?

Qu'est ce qui change après l’installation de ses grands Moulins à vapeur ?

Que firent les communes avec les moulins immobiles et vides ?

Qui a survécu à cette guerre  entre vapeur et vent ?

Que fit maître Cornille pour prévenir  les paysans de cette catastrophe à venir ?

A quoi maître Cornille compare le souffle du vent ?

A quoi compare-t-il la vapeur?

 Qui est Vivette ?

Pourquoi ne veut-il pas que Vivette vive avec lui dans son moulin ?

Pourquoi les gens du village s’interrogent ils ?

Quel élément déclencheur va mettre la vérité en plein jour ?

Pourquoi le joueur de fifre monte-t-il au moulin seul ?

Comment est il reçu ?

Que décide de faire les deux amoureux au retour du veil homme ?

Que trouvent les amoureux sur place ?

Que font les habitants du village quand ils prennent connaissance du désastre ? 

Comment maître Cornille prend-il l'arrivée de tout ce bon blé? 

Quelle est la première chose que fait maître cornille ?

A la mort de maître Cornille que devient le moulin ?

 

 

L'ILLUSTRE DOCTEUR-PROFESSEUR otTO DE SCHWANTHALER

 

Ce fut un événement dans Munich. on n'y avait pas encore vu de pendule de Bougival, et chacun venait regarder celle-là aussi curieusement que les coquilles japonaises du musée de Siebold. Devant le magasin d'Augustus Cahn, trois rangs de grosses pipes fumaient du matin au soir, et le bon populaire de Munich se demandait avec des yeux ronds et des Mein Gott de stupéfaction à quoi pouvait servir cette singulière petite machine. Les journaux illustrés donnèrent sa reproduction. Ses photographies s'étalèrent dans toutes les vitrines ; et c'est en son honneur que l'illustre docteur-professeur Otto de Schwanthaler composa son fameux Paradoxe sur les Pendules, étude philosophico-humoristique en six cents pages, où il est traité de l'influence des pendules sur la vie des peuples et logiquement démontré qu'une nation assez folle pour régler l'emploi de son temps sur des chronomètres aussi détraqués que cette petite pendule de Bougival devait s'attendre à toutes les catastrophes, ainsi qu'un navire qui s'en irait en mer avec une boussole désorientée. (La phrase est un peu longue, mais je la traduis textuellement.) Les Allemands ne faisant rien à la légère, l'illustre docteur-professeur voulut, avant d'écrire son Paradoxe, avoir le sujet sous les yeux pour l'étudier à fond, l'analyser minutieusement comme un entomologiste ; il acheta donc la pendule, et c'est ainsi qu'elle passa de la devanture d'Augustus Cahn dans le salon de l'illustre docteur-professeur Otto de Schwanthaler, conservateur de la Pinacothèque, membre de l'Académie des sciences et beaux-arts, en son domicile privé, Ludwigstrasse, 24.

 

LE SALON DES SCHWANTHALER

Ce qui frappait d'abord en entrant dans le salon des Schwanthaler, académique et solennel comme une salle de conférences, c'était une grande pendule à sujet en marbre sévère, avec une Polymnie de bronze et des rouages très compliqués. Le cadran principal s'entourait de cadrans plus petits, et l'on avait là les heures, les minutes, les saisons, les équinoxes, tout, jusqu'aux transformations de la lune dans un nuage bleu clair au milieu du socle.

Le bruit de cette puissante machine remplissait toute la maison. Du bas de l'escalier, on entendait le lourd balancier s'en allant d'un mouvement grave, accentué, qui semblait couler et mesurer la vie en petits morceaux tout pareils ; sous ce tic-tac sonore couraient les trépidations de l'aiguille se démenant dans le cadre des secondes avec la fièvre laborieuse d'une araignée qui connaît le prix du temps.

Puis l'heure sonnait, sinistre, et lente comme une horloge de collège, et chaque fois que l'heure sonnait, il se passait quelque chose dans la maison des Schwanthaler. C'était M. Schwanthaler qui s'en allait à la Pinacothèque, chargé de paperasses, ou la haute dame de Schwanthaler revenant du sermon avec ses trois demoiselles, trois longues filles enguirlandées qui avaient l'air de perches à houblon ; ou. bien les leçons de cithare, de danse, de gymnastique, les clavecins qu'on ouvrait, les métiers à broderies, les pupitres à musique d'ensemble qu'on roulait au milieu du salon, bout cela si bien réglé, si compassé, si méthodique, que d'entendre tous ces Schwanthaler se mettre en branle au premier coup de timbre, entrer, sortir par les portes ouvertes à deux battants, on songeait au défilé des apôtres dans l'horloge de Strasbourg, et l'on s'attendait toujours à voir sur le dernier coup la famille Schwanthaler rentrer et disparaître dans sa pendule.

 

 

SINGULIèRE INFLUENCE DE LA PENDULE DE BOUGIVAL SUR UNE HONNÊTE FAMILLE DE MUNICH

 

C'est à côté de ce monument qu'on avait mis la pendule de Bougival, et vous voyez d'ici l'effet de sa petite mine chiffonnée. voilà qu'un soir les dames de Schwanthaler étaient en train de broder dans le grand salon et l'illustre docteur-professeur lisait à quelques collègues de l'Académie des sciences les premières pages du Paradoxe, s'interrompant de temps en temps pour prendre la petite pendule et faire pour ainsi dire dés démonstrations au tableau... Tout à coup, Eva de Schwanthaler, poussée par je ne sais quelle curiosité maudite, dit à son père en rougissant :

“ ô papa, faites-la sonner. ” Le docteur dénouant la clef, donna deux tours, et aussitôt on entendit un petit timbre de cristal si clair, si vif, qu'un frémissement de gaieté réveilla la grave assemblée. Il y eut des rayons dans tous les yeux :

“ Que c'est joli! que c'est joli ! ” disaient les demoiselles de Schwanthaler, avec un petit air animé et des frétillements de natte qu'on ne leur connaissait pas, Alors M. de Schwanthaler, d'une voix triomphante :

“ Regardez-la, cette folle de française ! elle sonne huit heures, et elle en marque trois ! ”

Cela fit beaucoup rire tout le monde, et, malgré l'heure avancée, ces messieurs se lancèrent à corps perdu dans des théories philosophiques et des considérations interminables sur la légèreté du peuple français. Personne ne pensait plus à s'en aller, on n'entendit même pas sonner au cadran de Polymnie ce terrible coup de dix heures qui dispersait d'ordinaire toute la société. La grande pendule n'y comprenait rien. Elle n'avait jamais tant vu de gaieté dans la maison Schwanthaler, ni du monde au salon si tard. Le diable c'est que lorsque les demoiselles de Schwanthaler furent rentrées dans leur chambre, elles se sentirent l'estomac creusé par la veille et le rire, comme des envies de souper ; et la sentimentale Minna, elle-même, disait en s'étirant les bras :

“ Ah ! je mangerais bien une patte de homard. ”

 

“ DE LA GAIETÉ, MES ENFANTS, DE LA GAIETÉ ! ”

Une fois remontée, la pendule de Bougival reprit sa vie déréglée, ses habitudes de dissipation. on avait commencé par rire de ses lubies ; mais, peu à peu, à force d'entendre ce joli timbre qui sonnait à tort et à travers, la grave maison de Schwanthaler perdit le respect du temps et prit les jours avec une aimable insouciance. on ne songea plus qu'à s'amuser ; la vie paraissait si courte, maintenant que toutes les heures étaient confondues ! Ce fut un bouleversement général. Plus de sermon, plus d'études ! Un besoin de bruit, d'agitation. Mendelssohn et Schumann semblèrent trop monotones : on les remplaça par la Grande-Duchesse, le Petit Fausti, et ces demoiselles tapaient, sautaient, et l'illustre docteur-professeur, pris lui aussi d'une sorte de vertige, ne se lassait pas de dire :

 “ De la gaieté, mes enfants, de la gaieté !... ”

Quant à la grande horloge, il n'en fut plus question. Ces demoiselles avaient arrêté le balancier, prétextant qu'il les empêchait de dormir, et la maison s'en alla toute au caprice du cadran désheuré.

C'est alors que parut le fameux Paradoxe sur les Pendules. A cette occasion, les Schwanthaler donnèrent une grande soirée, non plus une de leurs soirées académiques d"autrefois, sobres de lumières et de bruit, mais un magnifique bal travesti, où Mme de Schwanthaler et ses filles parurent en canotières de Bougival, les bras nus, la jupe courte, et le petit chapeau plat à rubans éclatants, Toute la ville en parla, mais ce n'était que le commencement. La comédie, les tableaux vivants, les soupers, le baccara : voilà ce que Munich scandalisé vit défiler tout un hiver dans le salon de l'académicien.

“ De la gaieté, mes enfants, de la gaieté !... ” répétait le pauvre bonhomme de plus en plus affolé.

Et tout ce monde-là était très gai en effet.

Mme de Schwanthaler, mise en goût par ses succès de canotière, passait sa vie sur l'Isar en costumes extravagants. Ces demoiselles, restées seules au logis, prenaient des leçons de français avec des officiers de hussards prisonniers dans la ville; et la petite pendule, qui avait toutes raisons de se croire encore à Bougival, jetait les heures à la volée, en sonnant toujours huit quand elle en marquait trois... Puis, un matin, ce tourbillon de gaieté folle emporta la famille Schwanthaler en Amérique, et les plus beaux Titien de la Pinacothèque suivirent dans sa fuite leur illustre conservateur.

 

CONCLUSION

 

Après le départ des Schwanthaler, il y eut dans Munich comme une épidémie de scandales. On vit successivement une chanoinesse enlever un baryton, le doyen de l'Institut épouser une danseuse, un conseiller aulique faire sauter la coupe, le couvent des dames nobles fermé pour tapage nocturne...

ô malice des choses ! Il semblait que cette petite pendule était fée et qu'elle avait pris à tâche d'ensorceler toute la Bavière. Partout où elle passait, partout où elle sonnait son joli timbre à l'évent, il affolait, détraquait les cervelles. Un jour, d'étape en étape, elle arriva jusqu'à la résidence; et depuis lors, savez-vous quelle partition le roi Louis, ce wagnérien enragé, a toujours ouverte sur son piano ?...

Les Maîtres chanteurs ?

Non !... Le Phoque à ventre blanc !

Ça leur apprendra à se servir de nos pendules.