Un écrivain et sa maison

Alphonse DAUDET acquiert cette propriété de villégiature en 1886, après avoir séjourné 20 ans dans la région : à Vigneux-sur-Seine (demeure du grand-père de sa femme, M. NAVOIT), à Draveil dans ce même quartier de Champrosay dans deux maisons : celle d'Eugène DELACROIX pendant 3 ans, louée par ses beaux-parents, et celle acquise par ses beaux-parents pendant près de 20 ans.

 

Il a donc écrit - du moins en partie - à Champrosay presque l'essentiel de son oeuvre, sachant qu'il partageait son temps entre ses résidences de villégiatures et ses appartements parisiens.

 

" Moi, propriétaire, c'est incroyable !", disait-il lorsqu'il acheta la propriété du 33, rue Alphonse Daudet à Champrosay.

Pendant ses séjours dans cette résidence, il écrivait et recevait ses amis artistes, journalistes, explorateurs, architectes, éditeurs...

De nombreux témoignages sont relatifs à cette époque : morceaux de musique ("Champrosay"), poèmes, correspondances et même un roman d'Alphonse DAUDET lui-même : "La Petite Paroisse", dont l'action se situe dans sa propre maison.

 

Pour l'écrivain, cette maison avait tout ce dont un artiste peut rêver : située à la campagne, elle procurait une liberté indispensable vis-à-vis des journaux et des théâtres. Et proche du chemin de fer, elle permettait de garder un lien avec l'effervescence parisienne, faisant de la maison un lieu de rencontres et de partage.

Cette maison est la seule que posséda Alphonse DAUDET.

Alphonse et Julia daudet à champrosay

 

Né le 13 mai 1840 à Nîmes, Alphonse DAUDET rejoint en novembre 1857 son frère Ernest à Paris. Il vivra en région parisienne jusqu’à sa mort, le 16 décembre 1897.

 

En janvier 1867, il épouse Julia ALLARD, fille d’industriels amis des arts.

Le grand père de Julia, Monsieur NAVOIT, accueille le couple en villégiature dans son château de Vigneux, situé en limite de Draveil, pendant l’été : c’est là qu’il terminera Le Petit Chose.

 

Après la mort du grand-père, les parents de Julia DAUDET vont louer l’ancienne maison du peintre DELACROIX pour leurs villégiatures, dans le quartier de Champrosay, à Draveil de 1868 à 1870. Alphonse DAUDET mettra la dernière touche aux Lettres de Moulin, écrira, entre autres, Tartarin de Tarascon, Les Contes du Lundi, Robert Helmont

 

En 1870, Monsieur et Madame ALLARD achètent une maison, toujours à Champrosay et toute la famille passe plusieurs séjours régulièrement à partir de 1871. C’est l’époque où Alphonse DAUDET écrit ses romans : Fromont Jeune et Risler Aîné, qui fut son premier grand succès, Jackl’Evangéliste, Les Rois en exil, Sapho, La Belle Nivernaise… dont la plupart s’inspirent des paysages de Seine et Oise qu’il aimait tout particulièrement.

 

C’est en 1887 qu’il achète une propriété à Champrosay dans laquelle il séjournera en famille et recevra de nombreux amis artistes.

A cette époque une autre proposition s’offre au couple Daudet : son cousin et ami fidèle  Timoléon AMBROY, lui propose de racheter le château familial de Montauban à Fontvielle. Alphonse et Julia DAUDET optent pour la maison de Champrosay et s’y installent pour les villégiatures avec leurs trois enfants : Léon (1867-1942), Lucien (1883-1946) et Edmée (1886-1937).

 

L’ami de la famille, parrain d’Edmée DAUDET, Edmond DE GONCOURT, y a sa chambre et ses habitudes et vient aussi très régulièrement dans cette maison. Il y décédera le 16 juillet 1896.

la propriété de champrosay

 

La famille s’y installe mi-mai 1887. Elle fait très peu de transformations, conserve quasi intacte l’implantation de la maison et du parc. Alphonse DAUDET fait construire une salle d’armes et agrandir un petit bâtiment qu’il appellera l’ « isba ».

 

La propriété s’étend entre la route de Corbeil et la Seine, coupée en deux parties par le chemin du bas de Champrosay.

Le bâtiment principal, de type bourgeois, probablement construit sous le règne de Louis-Philippe, complète une construction plus ancienne : une ferme avec ses granges et sa cour pavée. Les deux architectures, de styles si différents, donnent un cachet original à cet ensemble en forme de T.

La propriété est protégée de la route par une grille, fermée de volets et renforcée par une rangée de marronniers et de tilleuls. La cour d’honneur, pavée et sablée, est garnie d’orangers en caisse.

 

La maison comporte une partie principale avec, au rez-de-chaussée un salon, une salle à manger et un cabinet de travail ; au premier étage se trouvent les chambres de la famille DAUDET et au deuxième étage, celles des invités de marque (en particulier Edmond DE GONCOURT). L’aile comporte au rez-de-chaussée l’office, un réfectoire pour le personnel, une salle de bain (un luxe pour l’époque), et à l’étage les chambres pour le personnel et les invités.

 

Sur la gauche, derrière cette aile, se situe une petite cour pavée entourée de bâtiments : un pavillon – logement du jardinier - , une grande remise avec chambre aux graines et réservoir pour les eaux de Seine, une remise avec sellerie et écurie pour deux chevaux, un grenier à fourrage, une étable avec une vache qui fournit le lait pour les enfants et des ânes pour leurs promenades.

 

Le parc à l’anglaise descend jusqu’à la Seine et se sépare en deux parties, séparées par le chemin de la Croix, de Champrosay à Soisy-sous-Etiolles, dit chemin du bas de Champrosay. La partie haute, de 3 hectares et 65 ares, est la plus importante. La partie basse, en bordure de Seine, fait 1 hectare et 82 ares.

 

Les pièces du rez-de-chaussée donnent sur une terrasse à laquelle on accède par un petit escalier : un espace recouvert de gravier est aménagé avec des bancs, des fauteuils et des arbustes en pots.

Ensuite, un jardin d’agrément où Alphonse Daudet aime se promener, un bassin circulaire qu’il a fait agrandir, des terrasses, des massifs, des vases fleuris, un kiosque.

Plus bas, un potager, un verger en plein rapport, des bassins et des réservoirs d’eaux de Seine. Un petit bâtiment en briques masque le potager : il s’agit de l’ « isba », lieu de lecture et salle de billard. Puis le parc se divise en deux parties : à droite un bois, à gauche des jardins et des terrasses. De larges allées de marronniers ou de tilleuls , bordées de bancs, traversent le parc et les jardins, ainsi que des chemins recouverts d’arceaux où grimpent rosiers et vigne qui mènent au tennis. Tout en bas, une allée de tilleuls, appelée « allée du curé », longe le chemin du bas de Champrosay, auquel on accède par une grille en demi-lune qui existe encore.

 

De l’autre côté du chemin, une autre grille ouvre sur des bois, des taillis, des arbres et arbustes d’agrément. C’est là que se trouve le cabinet de travail hexagonal qu’Alphonse DAUDET adopte tout de suite.

 

En remontant, à droite de la maison principale, plusieurs bâtiments, un véritable petit village : l’une de ces habitations est réservée à Jules EBNER, le fidèle secrétaire d’Alphonse DAUDET, et à sa famille.

la vie de la famille daudet à champrosay

 

« Telle quelle, sans luxe, mais très confortable, pleine d’objets, amusants et désuets et de vieux meubles dont quelques uns assez jolis, cette maison fut une grande diversion pour Alphonse Daudet, elle le rattacha à la vie. Il disait en riant : « Moi, propriétaire ! C’est incroyable ! » Vingt ans, il avait fallu vingt ans… Cet amour de la campagne qu’il avait toujours eu, mais chez les autres, il pouvait à présent le satisfaire en se cherchant des coins pour lui, des « cagnards » bien abrités du vent, des parties de prairies d’où l’on ne voyait que des arbres sauvages, dans des bouffées d’air parfumées par la Seine et les plantes d’eau… »

Lucien DAUDET, Vie d’Alphonse Daudet

 

La famille y mène une vie régulière, proche de la nature. Les premières années, Alphonse DAUDET profite de la région, faisant de nombreuses parties de canotage sur la Seine.

Avec son fils Léon, il fait de grandes promenades dans les champs ou dans la forêt de Sénart à la recherche de champignons ou de châtaignes. Mais quand il achète la maison, Alphonse DAUDET est malade et éprouve des difficultés à marcher. Il se promène dans le parc, au bras de sa femme, de son secrétaire, Jules EBNER, ou de ses amis. Il reste des journées entières assis sur la terrasse qui domine la vallée de la Seine.

 

Une journée d’été parmi d’autres...

La journée d’Alphonse DAUDET se déroule de façon très régulière.

Le matin, il passe une heure ou deux sur un banc circulaire, à l’ombre d’un frêne pleureur, dans la partie gauche du parc.

Il aime aussi rester sur la terrasse, face à la Seine, installé dans une sorte de guérie d’osier. Il y passe parfois des journées et des soirées entières.

Après le déjeuner, Alphonse DAUDET descend au bras d’EBNER, son secrétaire, jusqu’au pavillon hexagonal en pierre, au bord de la Seine. Là il lit et écrit. Julia DAUDET vient le rejoindre et travaille à ses côtés.

Pendant ce temps, Léon étudie : il prépare ses examens (après avoir échoué au concours de l’internat, il renoncera à la médecine en 1897 pour se consacrer à l’écriture).

Lucien, lui, passe son temps entre le jardin et la laiterie. Edmée se repose, gardée par la nourrice.

Enfin les enfants rejoignent leurs parents près de la Seine.

En fin d’après-midi, lorsque la chaleur décroît, tous partent en promenade. Quand Edmond DE GONCOURT est à Champrosay, c’est Léon qui est chargé d’aller le chercher. L’ami laisse là son travail en train et tout le monde monte dans le landau familial pour aller vers Corbeil, Brunoy, Etampes. Parfois, Edmond DE GONCOURT fait arrêter la voiture pour acheter un jouet pour la petite Edmée, sa filleule.

Le soir, le gong de la maison retentit pour prévenir de l’arrivée d’un voisin qui s’invite à dîner. Toute la famille rejoint alors la maison en traversant le parc.

Après le dîner, Alphonse, Julia et les enfants vont jusqu’au potager admirer le coucher de soleil sur la Seine, puis regagnent lentement la maison. Les enfants vont se coucher.

Alphonse et Julia restent dans le cabinet de travail, au rez-de-chaussée, à travailler jusqu’à 11 heures – minuit. Alphonse DAUDET écrit debout, appuyé sur un haut pupitre, sa femme s’installe sur un canapé à côté.

un véritable centre culturel au xixème siècle

 

Alphonse Daudet estimait que la campagne procurait une indispensable liberté artistique vis-à-vis des journaux, des théâtres… Cette maison lui paraissait suffisamment loin de Paris pour être un lieu culturel actif.

Il y recevait de nombreux artistes, journalistes : Champrosay était bien reliée à Paris, avec la gare de Ris Orangis. Trois trains permettaient de venir passer l’après-midi. Les intimes restaient dîner, les autres rentraient en fin d’après-midi.

 

 

Les jeudis de Champrosay :

Cette vie tranquille est bouleversée le jeudi : arrivent voisins, amis, journalistes, écrivains et artistes confirmés ou non, connus ou inconnus. Presque tout ce que l’époque compte de personnalités fréquente les jeudis de Champrosay. Ce sont trois générations qui se retrouvent autour d’Alphonse DAUDET : celle d’Edmond DE GONCOURT (né en 1822), celle d’Alphonse DAUDET (né en 1840) et celle de ses fils Léon et Lucien (nés en 1867 et en 1878).

 

On peut citer: : Leconte de Lisle, Huysmans, Tourguéniev, Maupassant, Théodore de Banville, Sully-Prudhomme, Emile Zola, Marcel Proust, Pierre Loti, Frédéric Mistral, Rosny Aîné, François Coppée, Nadar (Félix Tournachon), Edouard Drumont, Augusta Holmès, Emma Calvé, Jules Massenet, Reynaldo Hahn, Whistler, Eugène Carrière, Auguste Rodin, …

 

 

« Le Journal de Champrosay » : un des derniers projet d’Alphonse Daudet :

Alphonse DAUDET avait envisagé d’y fonder une revue : « Le Journal de Champrosay » : « dans lequel je dirai chaque semaine mon mot sur ce qui se passe. Le mot du philosophe qui voit les événements de très loin et qui les juge sans passion… ».

 

 

La Petite Paroisse : un roman situé dans sa propre maison :

A côté de la maison se trouve la chapelle Sainte Hélène, surnommée "la chapelle du bon cocu" par les habitants de Champrosay.

Napoléon QUANTINET l’avait fait construire en mémoire de sa femme, Hélène, qui lui était revenue après une fugue avec son amant. Mais l’histoire dit aussi qu’elle était très jeune, et lui pas vraiment … et qu’elle est morte très peu de temps après son retour.

Alphonse DAUDET en a fait un roman qu’il situe dans sa propre maison. On y lit la vie quotidienne dans cette demeure où les Daudet sont traités comme des bourgeois, par des paysans malins. Les fruits et légumes du jardin volés que l’on retrouve au marché de Corbeil, la crème du lait bue par les servantes, les braconniers, … mais aussi les journées de pêche en bord de Seine, les promenades dans le parc et le bois, les petits métiers, …

Un des plus beaux passages : celui où le jeune Richard observe de la maison les passants sur la route de Corbeil : on imagine très bien Alphonse Daudet, alors malade et paralysé, à sa place, prenant des notes sur les vagabonds, les marchands ambulants, les paysans de la ferme voisine, le cantonnier, les noces …

Le livre La Petite Paroisse est encore disponible à la maison d'Alphonse DAUDET.